Montreuil

Montreuil, c’est la grand- messe de la littérature jeunesse. Tous les éditeurs qui se respectent y ont un stand.
L’idée est bonne. La littérature jeunesse, j’y crois (bah tiens donc !), je suis la première à vouloir la promouvoir. Seulement, il y a juste un détail qui me chagrine : c’est conçu exactement sur le modèle de la Foire Agricole.
Sauf qu’il n’y a pas Chirac… Ca serait rigolo d’ailleurs, Chirac soupesant le dernier Titeuf en s’exclamant : « Eh ben, y’a pas un poil de gras, c’est tout du bon ! ». Et Zep répondant « Y’a un peu plus que le kilo, je vous le laisse ? ». Raffarin, lançant une raffarinade : « Ce que j’aime dans Mini-Loup, c’est qu’il a la positive attitude ».
Christine Boutin, quant à elle, serait farouchement opposée à l’union de Oui-Oui et de Bob le bricoleur…
Mais la place des gosses, là dedans ? La densité est digne du pire élevage de poules en batterie, il y fait une chaleur humide d’environ 50 degrés, les stands sont pile à la bonne hauteur pour les Harlem globe- trotters…
On signe, on signe, on ne voit personne, on finit par écrire des grosses conneries (« Anaïs, t’es un super garçon »… , « Pour Pauline qui aime sa tétine et aussi la bibine », pour « Paul qui a un papa très mignon »…). Les gens s’engueulent des fois « Madame, j’étais là avant vous ! Ca fait deux heures que j’attends ma dédicace de « Respecte ton copain », alors reculez ou je vous en mets une… »), les petits veulent rentrer, les bébés sont "désir-grattés" ( dixit ma Pépite).
Non, vraiment, c’est vraiment un truc commercial…
Je n’y vais que parce que je peux embrasser M., l’illustratrice avec laquelle j’adore bosser et avec qui j’ai fait une douzaine d’albums. Et Isabel, notre éditrice.
M. c’est ma jumelle d’humour. J’écris une phrase, elle fait un dessin. Pas redondant, pas une simple illustration. Non, elle va toujours plus loin. Avec elle, pas la peine d’en rajouter dans le texte, je peux faire sobre, elle part dans le délire. Elle décide du découpage, du format.
Elle râle après le mec qui fait les couleurs à l’imprimerie. On l’appelle Garcimore. M. met un rose, hop, passent passent les petites souris, c’est devenu orange ! Et il s’exclame « Des fois cha marche, des fois cha marche pas ! ». J’adore M. parce qu’elle est absolument entière. Elle est sûre. Moi, si on me dit qu’un passage ne va pas, je doute, je corrige, je ratiocine, je me bile. M. jamais.
Et elle fonce dans le tas. Elle a raison de ne pas douter d’elle, c’est toujours elle qui a raison, in fine. Ce qui me bluffe, c’est sa capacité, non seulement à le savoir vite, mais aussi à le dire, sans transiger. Elle est précise, pointue, et en même temps, elle a cette facilité à se laisser embarquer, cette disponibilité...
Et puis, ce qu’on partage, M., Isabel, notre éditrice qui marche à la passion et moi, toutes les trois, c’est nos personnages.
On les aime. On en parle comme des vraies personnes. On a envie de leur donner plus de vie, d’aventures, du corps. On se dit « Ca c’est Nina », « Ca c’est la Coquette »...
Qui peut comprendre ça ?
Si, on le voit. Je sais pas, le mec qui a construit un barbecue dans son jardin et qui est fier, qui le montre à tous ces voisins, ses potes… Les autres ne voient qu’un barbecue maison, mais le type, il voit son rêve, son énergie, ses désirs, sa sueur. Alors, purée, celui qui balance un mégot dans son barbecue, il risque gros !par contre, le jour où il rencontre un autre bricolou fou, il est content ! Il vont pouvoir construire un truc dont le facteur Cheval serait jaloux !
Faut être balaise pour entrevoir que derrière tout ça se révèle, en filigrane, ce qu’on a de plus vrai et de plus intense.
Alors, nous trois, on se cause de ce qu’on sait. Notre petit secret. C’est pour ça que j’y vais, à cette foire aux bestiaux.
Pour ce tout petit clin d’œil entre nous, pour être ensemble, pour être comme les français à l’étranger , pour parler la même langue…
PS : j'ai l'autorisation de M., elle veut bien que je publie ce post. Parce que, franchement, c'est hyper facile de l'identifier...